spécial Rio
un point de vue trés(trop) enthousiaiste!De NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL À RIO DE JANEIRO, OLIVIER UBERTALLI
On le savait proche des gens, on l'a découvert leader charismatique. Jamais François n'oublie son rôle d'évêque de Rome, de chef de l'Église. Lui qui, selon les rumeurs, aurait refusé le poste en 2005 assume pleinement ses nouvelles responsabilités. Quand il réunit les évêques dans la cathédrale de Rio de Janeiro au Brésil, c'est pour taper du poing et les rappeler à l'ordre. La désaffection des fidèles ? La faute à "l'incohérence de certains chrétiens et des ministres de l'Évangile". Une allusion directe aux scandales sexuels ou financiers qui touchent des membres du clergé.
Durant son discours devant ses pairs - un millier d'évêques et des milliers de prêtres, mais aussi des religieux, des religieuses, des séminaristes venus du monde entier -, il trace clairement les grandes lignes de son pontificat. François ne veut pas d'une Église "trop haute", trop "faible", "auto-référentielle" et "prisonnière de ses langages rigides". "Le monde semble avoir fait de l'Église comme une survivance du passé, insuffisante pour les questions nouvelles. Peut-être l'Église avait-elle des réponses pour l'enfance de l'homme, mais non pour son âge adulte", martèle-t-il.
François galvanise les foules
Le pape souhaite construire, reconstruire une Église au langage "simple et direct". Le souverain pontife a montré l'exemple à suivre au Brésil. "Mettez le bordel ! Mettez le feu dans les diocèses. Ne restez pas enfermés dans vos communautés. L'Église doit sortir dans la rue", clame-t-il dans la cathédrale de Rio devant une assistance de cinq mille personnes médusées. Plus tard, il fustige "la corruption et l'égoïsme des institutions politiques". Avant de monter dans l'avion qui le ramène à Rome, il enfonce le clou. Au Conseil épiscopal latino-américain, il attaque "l'idéologisation" de l'Évangile. "Ne vous offensez pas, mais nous sommes très en retard sur notre temps", déplore-t-il. Sur la chaîne de télévision brésilienne Globo, il confie : "Je n'apprécie pas les jeunes qui ne protestent pas." Un discours mobilisateur, provocateur, quasi révolutionnaire qui ne laisse pas indifférent. "On dirait presque un marxiste !" s'exclame une journaliste brésilienne.
La mission des prêtres du monde entier telle qu'il la conçoit ? "Ne pas rester enfermés dans leur paroisse", "sortir" pour évangéliser ceux qui sont loin et "aller dans les favelas chercher et servir le Christ". Le souverain pontife insiste bien sur le rôle social qu'il imagine pour l'Église. Une visite dans une favela, l'inauguration d'un hôpital pour les toxicomanes... François a le sens des symboles. Comme la minute de silence demandée pour la Française tuée dans un accident de bus en Guyane sur la route des JMJ ou ses prières pour les 245 victimes de l'incendie d'une discothèque brésilienne, au début de l'année. En parlant de manière concrète d'événements, le pape s'inscrit dans son temps.
Décidément, ce pape de 76 ans sait parler aux jeunes et aux foules. Il jongle entre le portugais et l'espagnol. Ou multiplie les clins d'oeil et les gestes de complicité avec ses auditeurs. Devant la foule réunie sur la plage de Copacabana, il lance sous les rires et les applaudissements : "J'ai toujours entendu dire que les Cariocas avaient peur de la pluie et du froid. Vous démontrez que la foi est plus forte que la pluie et le froid !" Au balcon de la basilique d'Aparecida, il bénit le public de "manière interactive" en demandant : "Une mère oublie-t-elle ses enfants ?" Le public en délire lui répond : "Non !" Puis c'est hilare, au milieu des cris, qu'il promet de revenir à Aparecida en 2017. "Il a toujours ce sourire, ce côté curé de paroisse humble et très accessible", s'extasie Corentin, un jeune pèlerin français.
François, l'homme de la situation
Sur la forme, François confirme son pragmatisme, avec son refus des protocoles. À la dernière minute, il préfère un bain de foule dans les rues de Rio à la réception de la présidente brésilienne Dilma Rousseff. Plus tard, il insiste malgré un agenda surchargé pour rencontrer ses compatriotes argentins qui lui manquaient tant. Il oblige aussi ses gardes du corps à ne pas montrer leurs armes. Hors de question que le monde puisse voir une telle image. Il réservera d'ailleurs plusieurs sueurs froides aux agents de sécurité en saluant quelques fidèles personnellement. François, qui confessait lorsqu'il était archevêque de Buenos Aires qu'il ne craignait pas de mourir dans ses fonctions, raffole du contact. En hommage aux Indiens qui le saluent dans le Théâtre municipal de Rio, il se coiffe de la cocar indienne pour le plus grand plaisir des photographes. À l'Argentin qui lui tend depuis la foule de Copacabana un maté, la boisson chaude argentine, il le prend et en boit une gorgée. Le poids des mots, l'importance des images.
Mis à part son étiquette de "pape des pauvres", on connaissait finalement assez peu François avant ces Journées mondiales de la jeunesse. Durant une semaine forte en émotions et clôturée par une messe devant 3 millions de personnes - mieux que les Rolling Stones ! -, Jorge Bergoglio a prouvé qu'il semble bien être l'homme de la situation. À charge pour lui de poursuivre les réformes à son retour à Rome. Une lourde tâche qui ne fait que commencer.